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LE NARCOTRAFIC MARITIME : UNE MENACE STRATÉGIQUE EN MUTATION

C.E.S.M.

-

11/05/2025

Le 23 avril dernier, la conférence navale universitaire organisée par le Centre d'études stratégiques de la Marine (CESM) et l’ENSM, Ecole nationale supérieure maritime au Havre a plongé au cœur d’un enjeu stratégique majeur : le narcotrafic maritime.

Routes éclatées, trafics ultra-technologiques, infiltration des économies légales… Face à des organisations criminelles toujours plus sophistiquées, les réponses doivent être coordonnées, agiles et résilientes.

 
🔎 Un impératif : anticiper l'évolution du phénomène et adapter nos moyens.

Trois experts sont venus partager leur expérience du terrain et leurs analyses stratégiques :
 
➡️ Le capitaine de frégate Matthieu, ancien commandant de la frégate de surveillance Ventôse,
 
➡️ Le commissaire principal Mounir, chargé de la lutte contre les activités illicites au bureau Action de l'État en mer de l’état-major de la Marine,
 
➡️ Arnaud PICARD, adjoint au directeur national garde-côtes des douanes.

 
🎥 La conférence n’ayant pas été filmée, nous vous proposons un article dédié pour en retrouver l’essentiel : état de la menace, stratégies d'interception, sophistication des trafics, innovations technologiques…

 
💡 Plongez dans les enseignements clés de cette réflexion !
 

A voir ci-dessous.

Aussi accessible avec le lien : https://www.linkedin.com/pulse/le-narcotrafic-maritime-une-menace-p7fue/

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Le narcotrafic maritime : une menace stratégique en mutation

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Centre d'études stratégiques de la Marine (CESM)

 

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29 avril 2025

Le 23 avril dernier, la Conférence navale universitaire organisée par le CESM et l'ENSM au Havre a réuni des représentants de la Marine nationale, des douanes et du monde académique autour d’un enjeu majeur de sécurité : le narcotrafic maritime. Un phénomène globalisé, en constante évolution, qui exige des réponses coordonnées, innovantes et résilientes.

Une économie criminelle qui navigue à grande échelle

Arnaud Picard, adjoint du directeur national garde-côtes des douanes, a rappelé en ouverture que plus de 80 % du commerce mondial transite par la mer — un chiffre qui se reflète également dans les trafics illicites. La mer est devenue une autoroute pour les cargaisons de stupéfiants, en particulier la cocaïne, dont la production mondiale a été multipliée par trois ces dernières années. En France, la consommation de cette drogue s’élève à 1,2 million de consommateurs réguliers.

Si la cocaïne reste le produit le plus saisi, d’autres trafics gagnent en ampleur, notamment celui de la méthamphétamine qui dépasse celui de l’héroïne dans les quantités interceptées. Le modèle économique du narcotrafic suit les mêmes logiques que le commerce licite : maximisation du profit, réduction des risques, optimisation de la chaîne logistique. Les autorités doivent donc sans cesse adapter leurs réponses : augmenter les saisies tout en assurant un emploi le plus efficient des ressources capacitaires et humaines.

Contenu de l’article

©N.Tinevez/Marine nationale

Des opérations en mer à haute complexité

Le commissaire principal Mounir, chargé de la lutte contre les activités illicites et de la sûreté maritime au bureau Action de l'État en mer de l'état-major de la Marine, a détaillé les trois dimensions d’une opération maritime :

  • Juridique : le cadre d’intervention dépend de l’espace maritime concerné (mer territoriale, zone contiguë, haute mer). La loi du 15 juillet 1994 prévoit notamment des habilitations autorisant les commandants des bâtiments de l’Etat à constater les infractions en matière de trafic illicite de stupéfiants.
  • Organique : la France ne dispose pas d’un corps unique de garde-côtes, mais d’un ensemble d’administrations compétentes et concourantes à la fonction garde-côtes (douanes, Marine, gendarmerie maritime, affaires maritimes, etc.).
  • Opérationnelle : les actions en mer imposent des spécificités et une expertise particulière (obligation de sauvetage, environnement exigeant, éloignement…).

 

Contenu de l’article

©Marine nationale

Le capitaine de frégate Matthieu, fort de son expérience à bord de la frégate de surveillance « Ventôse », a souligné la réalité du terrain : presque 48 tonnes de drogue interceptées par la Marine nationale en 2024. Il a rappelé que la Marine nationale conduit ces opérations selon un entraînement et une doctrine exigeants, face à des trafiquants prêts à user de violence ou de ruses juridiques pour échapper aux contrôles et/ou aux suites pénales, ce qui impose le respect de procédures et d’une préparation opérationnelle particulièrement exigeantes.

Arnaud Picard a présenté le triptyque central de l’intervention : navire / cargaison / équipage, chaque élément pouvant être traité juridiquement de manière distincte, dans une chaîne allant de la détection à l’intervention, jusqu’au traitement judiciaire.

Un narcotrafic systémique et en pleine mutation

Le commissaire principal Mounir a rappelé que le narcotrafic constitue aujourd’hui une menace globale dépassant la seule question sanitaire : il alimente la violence, la corruption et fragilise les structures sociales à travers des réseaux criminels qui investissent dans l’armement, la logistique, le blanchiment et coopèrent avec des complices infiltrés dans les chaînes portuaires (dockers, agents logistiques). En France, le chiffre d’affaires généré par ces réseaux est estimé à 4 milliards d’euros en 2024. 

Le CF Matthieu a rappelé que la Marine nationale dispose certes d’une solide expérience dans la lutte contre le narcotrafic maritime, qui fait partie de l’Action de l’État en mer, mais que ses modalités évoluent sans cesse et en font un domaine particulièrement complexe et exigeant. Les Antilles restent un point chaud historique du trafic de drogue, mais l’Atlantique, le golfe de Guinée, la Méditerranée et l’océan Indien sont largement concernés. Les trafiquants adaptent leurs stratégies en permanence : certains vont même jusqu’à incendier ou saborder leur embarcation pour échapper au contrôle et bénéficier du statut de naufragé ; d'autres font appel à des leurres ou construisent de véritables sous-marins.

 

Contenu de l’article

©Europol, Serious and organized crime threat assessment

Le CF Matthieu a confirmé qu’un large panel d’unités de la Marine nationale (navires, aéronefs, fusiliers marins, commandos marine) était susceptible d’être employé pour lutter contre le narcotrafic sous les ordres du commandant de zone maritime local dans sa fonction de coordination de l’Action de l’État en mer. Disposant de capacités opérationnelles différentes, elles y sont très complémentaires.

Avec près de 45 missions identifiées en mer et bien moins d’administrations concernées, la coordination en matière d’Action de l’État en mer est un impératif. Concernant la lutte contre les narcotrafics, l’Action de l’État en mer repose sur l’étroite collaboration entre Marine, douanes et justice autour de la figure de coordination incarnée par le Préfet maritime. Aujourd’hui, chaque interception représente souvent plusieurs tonnes de stupéfiants saisies.

Des circuits fragmentés, des vecteurs diversifiés

Les routes maritimes du narcotrafic s’étendent, se fragmentent et se complexifient. Les vecteurs se multiplient : cargos, navires de pêche ou de plaisance, conteneurs, transbordements en mer. Ce morcellement logistique s’appuie sur des zones de rebond, transformant les itinéraires en réseaux souples et évolutifs, bien éloignés des schémas linéaires traditionnels.

À cette diversité des routes répond une hétérogénéité croissante des acteurs impliqués : pêcheurs précaires engagés ponctuellement, membres de cartels structurés ou navigateurs occidentaux marginalisés, employés contre rémunération ou sous la contrainte. Cette hybridation des profils rend les opérations de contrôle plus difficiles et les stratégies d’interception plus complexes.

Dans le même temps, certaines pratiques anciennes refont surface, comme l’immersion de cargaisons, tandis que se développent des organisations criminelles polyvalentes, mêlant trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent, contrebande ou trafic d’espèces protégées, au sein de structures toujours plus agiles.

Une sophistication technologique croissante

Les organisations criminelles investissent massivement dans des technologies de plus en plus sophistiquées pour échapper aux contrôles. Narco-sous-marins, semi-submersibles, drones, balises de suivi, systèmes de brouillage électronique ou téléphonie satellite : les outils se diversifient et gagnent en efficacité. 

 

Contenu de l’article

©E. Lemesle/Marine nationale

En réponse, les autorités renforcent leurs capacités avec des scanners portuaires nouvelle génération, des dispositifs de détection plus précis et un recours accru au renseignement ciblé. Cette adaptation passe aussi par une coopération étroite avec les grands acteurs du transport maritime, en particulier les armateurs, pour intégrer des mesures de sécurité dans la chaîne logistique. L’objectif : sécuriser les flux sans compromettre la performance économique.

Un cadre juridique à géométrie variable

Le droit de la mer encadre strictement les interventions en mer, s’appuyant notamment sur la Convention de Montego Bay, la Convention de Vienne (article 17) et le principe d’exclusivité de la loi du pavillon en haute mer. Quatre exceptions permettent d’agir sans le consentement de l’État du pavillon : piraterie, traite d’esclaves, émissions radio illicites et absence de nationalité. À cela s’ajoute un outil juridique essentiel : la dissociation entre le navire, son équipage et la cargaison, qui permet de cibler efficacement l’action en fonction des impératifs opérationnels. Cette souplesse juridique est particulièrement précieuse lors d’opérations menées loin des côtes françaises, où les marges d’action doivent rester à la fois précises et efficaces.

La coopération multilatérale se renforce, qu'il s'agisse du partage de renseignements internationaux, de l'entraînement conjoint, de la coordination avec l’OTAN et l’Union européenne, ou encore d'accords bilatéraux et régionaux. Le développement d’un certificat douanier européen (opérateur économique agréé) permet aussi, dans une démarche partenariale avec les opérateurs économiques, de certifier des chaînes logistiques et commerciales sécurisées.

Perspectives : anticiper l’évolution stratégique du narcotrafic

Face à une criminalité transnationale en constante mutation, portée par l’essor des technologies et par la possible reconfiguration des marchés liée aux dynamiques de légalisation, les stratégies de lutte évoluent pour s’adapter, notamment dans les domaines doctrinal, organisationnel, capacitaire et RH, avec le maintien d’un haut niveau de formation et une adaptation permanente des savoir-faire.

Dans ce contexte, la maîtrise de la donnée maritime et la numérisation des opérations s’imposent comme des leviers décisifs. Car si la mer est un espace global, ouvert et vital pour les échanges, elle est aussi un lieu de souveraineté qu’il faut préserver. Il ne peut y avoir de tolérance pour les trafics illicites dans les espaces maritimes : seule une réponse anticipée, coordonnée, et pensée sur le long terme permettra d’enrayer durablement cette criminalité en pleine expansion. 

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